Entre art, science et pédagogie, l’Institut Henri Poincaré (IHP) conserve l’une des plus impressionnantes collections de modèles mathématiques au monde.
Ces objets fascinants, fabriqués en bois, plâtre ou métal, racontent une histoire à la croisée des savoirs, où la rigueur scientifique rencontre l’esthétique. Remis sur le devant de la scène par le CNRS dans un récent article, on vous explique en quelques mots le lien entre les Arts et les mathématiques.
L’essor des modèles mathématiques en Allemagne et en France
Dès la fin du XIXᵉ siècle, l’enseignement de la géométrie descriptive fut révolutionné par l’apparition de modèles industriels. En Allemagne, les fabricants Ludwig Brill puis Martin Schilling proposèrent des modèles en série. Jusqu’alors, les enseignants devaient construire eux-mêmes ces objets pédagogiques !
Aujourd’hui, l’IHP possède près de 300 modèles issus de leurs catalogues : la plus grande et la mieux conservée des collections au monde. Parmi eux, ce splendide modèle en bois d’une surface de Kuen, une figure dont la courbure est partout constante et négative.
En parallèle, la France vit naître sa propre production. Le géomètre Charles Muret réalisa une centaine de modèles, notamment de délicats cercles de Villarceau, obtenus en tranchant un tore par un plan bien particulier.
Joseph Caron : l’artisan scientifique
Même avec l’industrialisation, l’artisanat n’a pas disparu. La collection abrite une soixantaine de modèles uniques, façonnés à la main. L’un des plus impressionnants est une surface cubique non réglée, comportant 27 droites réelles, réalisée par Joseph Caron à la demande du mathématicien Gaston Darboux.
Des objets pour voir l’invisible
Certains modèles servent à rendre visible ce qui ne l’est pas :
- Des volumes généralisant le triangle de Reuleaux, où plusieurs formes différentes partagent le même diamètre.
- Une sculpture représentant la surface courbée de la lumière, comme on l’observe au fond d’une piscine.
La reconversion artistique et le surréalisme
À partir des années 1930-1940, l’usage pédagogique des modèles déclina.
Mais les artistes s’en emparèrent !
Le surréaliste Man Ray, inspiré par son ami Max Ernst, transforma ces objets en œuvres photographiques et en tableaux, notamment sa célèbre série « Équations shakespeariennes ».
Par exemple, il associa une surface développable sur un paraboloïde de révolution à l’histoire de Roméo et Juliette.
Même aujourd’hui, certains mathématiciens créent de nouveaux modèles !
Dans les années 2010, l’IHP reçut un exemplaire du mystérieux gömböc, inventé par Gábor Domokos et Péter Várkonyi : un objet unique avec un seul point d’équilibre stable et un seul instable, qui se redresse toujours comme par magie.
Un patrimoine vivant
Plus de 600 modèles sont désormais inventoriés, photographiés et consultables en ligne sur le site de l’Institut Henri Poincaré.
Depuis 2023, près de 300 sont exposés dans la bibliothèque de l’IHP, et une quarantaine dans l’exposition permanente de la Maison Poincaré.
Documentation gratuite