Dans un laboratoire high-tech en périphérie de Lyon, parmi les tubes en verre et les écrans de simulation quantique, Myriam L., 42 ans, fait figure de vétérane. Chercheuse en algorithmique appliquée et responsable de pôle dans un laboratoire privé de recherche en IA, elle a gravi les échelons dans un milieu où les femmes sont encore largement minoritaires.
Mais loin des discours polis, elle parle cash. Très cash. Lassée de voir les chiffres stagner — 19 % de diplômées dans le numérique, 24 % dans l’ingénierie — elle a accepté de répondre sans filtre à nos questions. Un entretien coup-de-poing sur les vrais freins à l’inclusion des femmes dans les sciences.
Les chiffres de la dernière enquête Gender Scan sont assez déprimants. Comment vous réagissez en tant que professionnelle du secteur ?
Myriam : Franchement ? J’ai arrêté d’espérer des miracles. Ça fait vingt ans qu’on répète les mêmes constats, et les courbes ne bougent pas. Pire : elles stagnent ou reculent. En 2021, moins de 20 % de femmes dans le numérique, et on veut encore faire croire que c’est une question de temps ? Non. C’est une question de volonté politique. De choix sociaux. Tant qu’on aura des profs de maths qui disent à des filles de 14 ans qu’elles sont “trop littéraires pour faire de l’info”, on avancera pas.
L’étude pointe un retour des biais sexistes dès le collège. Vous l’avez vécu vous-même ?
Myriam : Évidemment. Quand j’ai dit que je voulais faire maths sup, un prof m’a regardée comme si je lui avais annoncé que je voulais devenir cosmonaute. Et je viens pas d’un milieu où on m’a poussée. Mon père m’a carrément dit un jour : “Tu feras jamais mieux qu’assistante de labo, faut être réaliste.” J’avais 16 ans. Heureusement que je suis du genre obstinée. Mais combien de filles se font casser comme ça ? Et à l’époque, y’avait pas Instagram, pas tous ces réseaux pour se soutenir. Aujourd’hui encore, j’entends des conneries du type : “Les filles sont moins logiques” ou “Elles réussissent parce qu’on leur fait des quotas.” Faut arrêter de prendre les gens pour des idiots.
On entend parfois dire que les femmes “n’ont pas envie” de ces carrières techniques. Que leur intérêt est ailleurs. Vous y croyez ?
Myriam : C’est le plus gros mensonge qu’on entretient pour rester tranquilles. Comme si une gamine de 12 ans, qui n’a encore rien découvert de ses capacités, “choisissait” librement de ne pas faire d’électronique. C’est pas une absence d’envie, c’est un système d’orientation biaisé. Quand 40 % des étudiantes disent avoir été découragées par leur entourage ou leurs profs, faut peut-être se demander ce qu’on fout tous collectivement. Et d’ailleurs, les rares qui tiennent bon, on leur colle des étiquettes : la “geek”, la “bizarre”, la “mec manquée”. Ça aussi, c’est un frein. Et on le nie.
Et dans le monde professionnel ? Vous sentez encore des freins, même avec l’expérience ?
Myriam : Clairement. Je suis cadre dans un labo privé, j’ai dirigé des équipes, j’ai publié dans des revues internationales… mais quand un jeune ingénieur masculin débarque, c’est souvent lui qu’on regarde en premier quand on pose une question technique. Et les réunions où on te coupe la parole toutes les deux phrases ? J’en ai une collection. Le pire ? C’est quand on te sort que tu devrais être « contente » qu’on te laisse la place. Non merci, je prends la place parce que je suis compétente. Pas parce que je suis une femme qu’il faut « valoriser ».
On parle souvent de la nécessité de campagnes dès le collège. Vous pensez que c’est encore utile ?
Myriam : C’est indispensable. Mais pas juste des affiches avec une fille qui tient une tablette. Il faut des femmes sur le terrain, qui viennent parler dans les classes, expliquer leurs parcours, montrer que c’est possible. Il faut aussi former les profs, parce que parfois les pires biais viennent d’eux, inconsciemment. Et il faut des séries, des jeux, des modèles féminins dans la culture populaire. On a réussi à faire aimer la médecine avec Grey’s Anatomy. Pourquoi pas les maths avec une héroïne brillante ? On sous-estime trop le pouvoir de l’imaginaire collectif.
Si vous deviez résumer en une phrase ce qui doit changer pour que les filles aient leur place dans les sciences ?
Myriam : Il faut arrêter de leur demander de “s’adapter” à un monde fait pour les hommes. Et commencer à changer ce monde-là. À tous les niveaux. Parce qu’on en a marre de devoir être parfaites pour exister là où certains sont médiocres… mais masculins.
Avec des mots crus mais une sincérité percutante, Myriam dit tout haut ce que beaucoup taisent encore dans les labos, les écoles, les familles. Loin des beaux discours sur “l’égalité en progrès”, elle appelle à une prise de conscience immédiate et radicale. Car, comme elle le résume si bien en nous raccompagnant : « Les filles n’ont pas besoin d’un coup de pouce. Elles ont besoin qu’on arrête de leur mettre des bâtons dans les roues. »
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Tout à fait d’accord. Je suis un prof de math retraité et j’ai eu des filles brillantissies. Un vrai régal de leur découvrir la magie de ma passion
C.ponté